Nourrir 9 milliards de personnes grâce au big data ?

Titre original : How big data is going to help feed nine billion people by 2050, par Lyndsey Gilpin, traduit de l’anglais par Julien Couaillier

Pour nourrir la future population mondiale, l’agriculture doit produire plus. Le big data1 est l’une des solutions pour les agriculteurs, mais c’est aussi une arme qui pourrait se retourner contre eux.

Un escalier en bois poussiéreux mène au bureau d’une grange, qui surplombe des hectares de champs. Des moissonneuses-batteuses géantes sont stationnées dans l’allée. C’est un jour frais d’avril à Palmyra, dans l’Indiana, un État du Mid-Ouest des États-Unis. Et il y a de forte chance qu’il pleuve. Six hommes sont serrés autour d’une table, penchés sur leurs ordinateurs.

Une transaction vient de se terminer. Jeff McGee, un agriculteur indépendant du côté de la rivière Ohio, se fait remettre une boîte en carton contenant un contrôleur de rendement. Il le regarde nerveusement avant de mettre le paquet sous le bras, se demandant comment configurer son compte et où acheter son nouvel iPad. Il donne sa carde de crédit au vendeur de la Climate Corporation 2 et regarde les chiffres qui se forment sur l’écran digital du terminal de paiement. Derrière lui, on entend le bruit des doigts qui, tapotant frénétiquement sur les claviers, saisissent les résultats d’analyses de sol, recueillis plus tôt cette semaine. Une tablette vibre sur le bureau, notifiant que la synchronisation des données dans le cloud est terminée. Une carte infrarouge d’un champ voisin s’anime sur l’écran de l’ordinateur, montrant les évolutions des précipitations de la semaine dernière.

McGee jette un œil autour de lui. Même s’il semble sceptique, il indique, d’une voix confiante : « Je ne veux pas être le premier à me jeter à l’eau, mais je ne veux surtout pas être le dernier ».

Une poignée de main échangée sur le pas de la porte plus tard, Robert Jones, le propriétaire de cette grande exploitation agricole et qui a informé McGee sur cette technologie , ajuste sa salopette de travail et se rassoit, l’air satisfait . C’est un grand jour pour l’industrie agricole.

McGee vient d’entrer dans l’ère de l’agriculture moderne.

Une industrie en transition

Un agriculteur connaît chacune de ses parcelles, chaque mètre carré où les cultures poussent, chaque espèce de ravageurs susceptibles de détruire ses cultures. Le vent, la pluie, la neige, le gel, la chaleur, la poussière. Il connaît les effets de tous ces paramètres.

Mais cette connaissance a tout de même une limite. La plupart du temps, un agriculteur n’a pas la main-d’œuvre ni le capital pour exploiter et mettre en perspective les données qu’il recueille. Et il n’a franchement pas le temps. Il utilise donc des outils qui existent depuis plus d’une décennie: talkies-walkies, fichiers Excel, clé USB pour transmettre ce qu’il peut à un agronome, dont le métier est d’optimiser les systèmes de production agricole.

Pendant le boom technologique des dernières décennies, le monde agricole a été petit à petit initié aux technologies d’agrégation de données. John Deere a de plus en plus embarqué des systèmes de données dans leurs machine. Les agriculteurs ont commencé à utiliser des connexions GPS et Internet sur leur ferme et dans leurs moissonneuses-batteuses. Et les grandes exploitations agricoles ont commencé à utiliser des logiciels pour gérer et planifier leurs activités. L’adoption a été lente, notamment à cause du manque d’interopérabilité entre les différentes solutions utilisées sur la ferme, aussi bien logicielles que matérielles.

Jeff McGee achète un abonnement à la Climate Corporation pour suivre ses parcelles dans le Brandebourg, Kentucky. Image: Lyndsey Gilpin/TechRepublic

« On avait presque toutes les pièces du puzzle mais personne n’avait les moyens de les rassembler. Ce faux espoir engendré par une agriculture avec plus d’informatique a généré de la frustration chez les agriculteurs », explique Dennis Buckmaster, qui enseigne dans le département « agriculture et ingénierie biologique » à l’Université Purdue. « Cela n’a pas fait émerger de nouveau modèle comme le promettait la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). »

Aujourd’hui, avec la mission de nourrir les 9 milliards de personnes qui habiteront cette planète d’ici 2050, le métier d’agriculteur est en pleine mutation. Les agriculteurs savent combien la sécurité alimentaire n’est pas chose acquise et qu’elle peut être remise en cause du jour au lendemain. Ils se démènent pour progresser dans ce XXIe siècle, mais la profession agricole a souvent une vision archaïque des enjeux liés aux NTIC.

C’est alors que Monsanto comprit.

Monsanto considéra que le big data en agriculture pouvait valoir des milliards de dollars d’investissements, comme en témoigne l’acquisition de plusieurs sociétés spécialisées dans les données agricoles entre mai 2012 et février 2014. Les technologies autour du big data ont un très fort potentiel pour augmenter les rendements, alors que nous entrons dans une ère de la rareté des ressources : eau, terre, avec de plus en plus de bouches à nourrir, ce qui rend à l’agriculture son importance stratégique et au métier d’agriculteur ses lettres de noblesse.

Mais le pouvoir que procure cette moisson de données sur les exploitations agricoles grâce au big data, peut devenir incontrôlable et ainsi se révéler dangereux. Si quelqu’un accède aux données d’une opération agricole, il peut interpréter cette donnée et aussi connaître à quel stade et où se situent les cultures, quel est leur rendement potentiel, quels sont les coûts de production et les revenus de l’exploitation agricole d’où proviennent ses données. Un des pires scénarios est que ces données tombent entre de mauvaises mains, que ce soit un voisin, un revendeur de semences, une société d’engrais, ou une grande entreprise agricole. Et que ces données soient utilisées contre l’agriculteur en étant vendues à un concurrent ou à un voisin, et en donnant ainsi des éléments stratégiques pour négocier un prix de vente de terres par exemple.

Les agriculteurs et les multinationales agricoles sont aujourd’hui en compétition pour trouver le Saint Graal de l’agriculture de précision. L’agriculture de précision est une batteries de technologies qui permettent de mettre la bonne dose, au bon endroit, au bon moment, et ainsi prendre en compte la variabilité et l’hétérogénéité de chaque parcelle de cultures dans une exploitation agricole, en recourant très souvent au géopositionnement par satellite (GPS). Cette manière de conduire les cultures avec des outils de l’agriculture de précision est devenue de plus en plus populaire auprès des agriculteurs, en raison des promesses de gain de productivité et de la baisse des coûts des dispositifs. Une enquête auprès des producteurs de soja en 2012 a montré un retour rapide sur investissement grâce à ces technologies : 15% d’économies sur les semences, les engrais et les produits chimiques. Une autre étude, citée par Raj Khosla, professeur et conseiller scientifique pour le Département d’Etat (NdT, équivalent d’un ministère des Affaires étrangères), a constaté que les agriculteurs, utilisant un seul type de technologies de précision, ont augmenté leur rendement de 16% et réduit leur utilisation d’eau de 50%.

Si les agriculteurs prennent suffisamment au sérieux le potentiel de ces technologies et exploitent la puissance de l’agriculture de précision de manière adéquate, ils auront une chance de doubler leur production pour nourrir les 9 milliards de personnes en 2050 et changer les perceptions sociales de l’industrie agricole.

Et s’ils choisissent de ne pas tenir compte de ces recommandations, il y a un consensus général sur le monde dans lequel nous vivrons dans 50 ans. Demandez à n’importe quel de ces agriculteurs qui essaient aujourd’hui d’être proactif plutôt que réactif – ils vous le diront tous franchement : l’avenir n’augure rien de bon.

Galerie de photo : Comment le big data change l’agriculture

Qui sème l’agriculture de firme ne récolte pas la confiance

Douglas Hackney est auteur, orateur public et président de la société de conseil Entreprise Group Ltd. Comme beaucoup d’autres, il essaie de sensibiliser le grand public aux enjeux liés à l’agriculture de précision et au big data en agriculture. Pour lui, tout se passe très vite. Etant ancien agriculteur et consultant en gestion et analyse de données, il sait comment cette problématique aura une incidence sur les deux mondes.

« Les agriculteurs ne ressemblent pas aux autres hommes d’affaires … on parie rarement le devenir de son entreprise tout entière sur une décision », explique-t-il. « Pourtant les agriculteurs le font chaque année : c’est une perpétuelle remise en question. »

« La confiance est devenu une véritable monnaie. Et les agriculteurs ont besoin des personnes de confiance pour les informer des nombreuses décisions qu’ils prennent chaque année », poursuit Hackney. Le monde agricole est toujours plus dépendant des vendeurs de semences, des vendeurs de pesticides, des vendeurs d’engrais, des concessionnaires agricoles. Et maintenant, ils dépendent aussi de prestataires qui agrègent leurs données et qui font de l’analyse prédictive pour les aider à prendre des décisions. Et si cette confiance est brisée, ils ont besoin d’une alternative.

La révolution verte (1940-1960) verte a été une période où la recherche et l’émergence de nouvelles technologies ont stimulé la croissance de la production agricole dans le monde entier, en particulier dans les pays en développement. Norman Borlaug est connu pour être le père de la révolution verte, et certains disent qu’il a sauvé des millions de personnes grâce à ces initiatives, la production agricole et la consommation alimentaire dans ces pays ont énormément augmenté.

Certaines de ces technologies incluaient des systèmes avancés d’irrigation, des pesticides, des engrais azotés de synthèse, et des variétés améliorées hybrides en grandes cultures, permettant aux agriculteurs de produire plus. Ces progrès ont eu un impact énorme sur l’agriculture mondiale. Une étude a montré que les populations dans les pays en voie de développement ont consommé 25% de calories supplémentaires après la révolution verte.

Depuis cette période, les progrès majeurs dans les grandes cultures se sont limités aux plantes génétiquement modifiées, résistantes aux insectes, en particulier dans les grandes exploitations agricoles en monoculture, ainsi qu’aux pesticides (comme le DDT) et aux engrais.

Ces pesticides et d’autres innovations pour rendre l’agriculture plus performante sont les marqueurs du monde agricole que nous connaissons aujourd’hui. D’ailleurs, quel mot vient-il souvent à l’esprit lorsque l’on parle l’agriculture ?

Monsanto.

Cette société est devenue le mal incarné d’une forme d’agriculture que ne souhaite pas la société mais elle a aussi complètement révolutionné l’agriculture. Et Monsanto n’était pas encore dans le champ de l’agriculture de précision et du big data agricole.

Monsanto a été fondée en 1901. Cette entreprise chimique a vendu du DDT, des hormones de croissance, des PCB et de l’aspartame. Mais dans les années 1980, Monsanto a commencé à racheter des entreprises semencières et à investir dans la recherche en biotechnologie, ajustant sa stratégie pour devenir une multinationale agricole. Monsanto a créé leur premier produit génétiquement modifié en 1996 avec le soja Roundup-Ready, résistant à l’herbicide du même nom. Bien qu’il ait été largement utilisé États-Unis, le produit ne s’est pas développé en Europe.

Comme nous allons le voir, les OGM – et la façon dont Monsanto les a commercialisés – permettent d’entrevoir combien le big data agricole et la science des données peuvent être une chance ou bien une catastrophe pour la prochaine grande phase de développement agricole.

Monsanto a acquis début 2012 Precision Planting, un fabricant de matériels et de logiciels qui aide les agriculteurs à implanter leurs cultures (optimisation des espacements et de la profondeur du lit de semences lors du semis). En octobre 2013, la multinationale rachète pour près d’un milliard de dollars The Climate Corporation. Cette société collecte et traite des données climatiques pour aider les agriculteurs à planifier la conduite de leurs cultures. Puis, en février 2014, The Climate Corporation rachète Solum, un service d’analyse du sol basé à San Francisco.

Le principal logiciel de Monsanto, FieldScripts, fonctionne avec tous ces systèmes pour déterminer la productivité et le rendement des sols.

« Nous nous sommes développés ces cinq dernières années en explorant en profondeur les données agricoles. Cette démarche a fondamentalement aidé les agriculteurs sur leurs prises de position et leurs décisions : chaque agriculteur a vraiment besoin d’un accompagnement très spécifique. Les deux principaux métiers de The Climate Corporation sont de protéger les agriculteurs des risques climatiques avec une ‘assurance-récolte et d’améliorer les rendements grâce à des analyses de données, explique Greg Smirin, directeur des opérations de The Climate Corporation.

L’image toxique de Monsanto résulte en partie des nombreuses poursuites judiciaires dont elle a fait l’objet, notamment par rapport au lobbying illégal entrepris par la firme et la défense d’une certaine vision des OGM. Le grand public a une interprétation parfois confuse de tous ces enjeux, renforçant la mauvaise image de Monsanto. Ce déficit d’image et ce manque de confiance à l’égard du plus grand vendeur de semences au monde avec le plus grand monopole de l’industrie agricole, est important et essentiel à prendre en compte.

« Nous nous attendons à ce que la place de l’agriculture de précision continue de croître rapidement. Les données deviennent de moins en moins chères à stocker et il devient de plus en plus facile de les déplacer d’une plateforme informatique à une autre », explique Brett Begemann, président et directeur des opérations de Monsanto. « Nous commençons à peine à explorer toute la valeur que nous pouvons créer pour les agriculteurs avec ces outils ».

La multinationale a identifié et saisi les opportunités de cette industrie naissante bien avant le grand public et elle en fait le pari. Qu’on fasse confiance à Monsanto ou pas, il est indéniable que cette entreprise a une façon de capitaliser sur les tendances dans l’agriculture, et le big data agricole est sa nouvelle cible.

« Du point de vue de la gestion de la marque, la prochaine révolution est la donnée, alors comment gagner ce marché ? Avec une marque toxique comme Monsanto, il apparaît beaucoup plus sensé de racheter d’autres marques et de mettre en avant des packages de solutions via ces nouvelles marques, sans mentionner Monsanto » analyseHackney.

Préoccupations croissantes

Yeux grands ouverts. Ça grimace. Bras croisés. Ça soupire. Muscles tendus sur des chaises en aluminium froides. Ces scènes-éclairs auraient pu être vues lors des dernières conférences agricoles à travers le pays. Six mois auparavant, pour l’American Farm Bureau (NdT, organisation professionnelle agricole similaire à la FNSEA), les données n’étaient pas un sujet sur l’ordre du jour. Aujourd’hui, c’est dans toutes les présentations, toutes les conversations de couloir et toutes les séances de questions-réponses.

La paranoïa dans la communauté agricole découle de la question qui mérite d’être posée : que va-t-il se passer une fois ces données dans les systèmes des grands éditeurs de logiciels, des sociétés de semences, des concessionnaires d’équipements agricoles, et surtout : comment ces données pourraient être utilisées ? « Vous ne pouvez pas aller à l’une de ces conférences sans que quelqu’un vienne dire ce qui se passe et de s’interroger : mon concessionnaire m’a poussé ce printemps à signer cette convention, que dois-je faire … Ils sont tous avides d’en savoir plus », a déclaré Don Villwock, président de l’Indiana Farm Bureau.

Pour de nombreux agriculteurs, le pire des cas serait que les données soient récupérées par leurs voisins, qui les montreraient, à leur tour, au propriétaire du terrain. Si ces données révélaient un faible de niveau de productivité ou des erreurs de conduite de culture, le propriétaire pourrait préférer un agriculteur plus performant pour l’exploitation de ses terres…

Selon le Département américain de l’Agriculture, en 2012, les filières agricoles ont contribué au produit intérieur brut à hauteur de 775,8 milliards de dollars, soit 4,8%. La production agricole représente environ 1% du PIB. Environ 9 % des emplois aux États-Unis en 2012 étaient liés à l’agriculture, et 2,6 millions de ces emplois étaient des emplois directs à la ferme. On compte environ 2 millions d’exploitations agricoles aux États-Unis, avec une superficie agricole utile moyenne de 430 acres (174 ha). La SAU moyenne a augmenté, en même temps que le nombre d’agriculteurs a diminué et que des firmes agricoles rachètent des terres pour cultiver à plus grand échelle.

« Pour une entreprise du big data, qu’est-ce qu’un agriculteur? C’est un numéro, rangé à côté de numéros d’autres clients », explique Hackney. « Pour un agriculteur, si leurs données tombent entre de mauvaises mains, c’est une menace existentielle. »

George Bercaw de la Climate Corporation et ami de la famille Jones, montre comment le site fonctionne. Image: Lyndsey Gilpin/TechRepublic

La production est le maître mot de cette industrie, et l’augmentation de la productivité est sans doute le principal contributeur à la croissance économique pour l’agriculture des États-Unis. De 1948 à 2011, la production agricole des États-Unis a plus que doublé, progressant d’environ 1,5% par an.

En 2013, les chiffres de l’USDA indique un rendement moyen de 160 boisseaux à l’acre (12,7 t/ha), bien que certains agriculteurs indiquèrent que ces chiffres soient exagérés. Certains rapports prétendent que le rendement de 200 boisseaux (16 t/ha) peut être atteint grâce aux technologies de l’agriculture de précision.

Mais cela n’est pas assez. L’Américain moyen ne s’en préoccupe pas, mais pour l’agriculteur (et par extension, pour presque tous le monde de l’industrie agricole) dont le métier est de nourrir les Hommes, la question reste de savoir comment répondre au défi de nourrir le monde, surtout quand les projections parlent de 9 milliards d’habitants sur Terre en 2050. C’est pourquoi les semences hybrides sont attrayantes, et pourquoi l’agriculture de firme est en train de gagner. C’est pourquoi le suivi des données géolocalisées avec les technologies du big data est révolutionnaire. Monsanto estime que ce nouveau type de conseil agricole pourrait conduire à une augmentation de la production en valeur de 20 milliards de dollars par an dans le monde entier.

« Je pense que la chose la plus importante est d’éduquer et d’informer les agriculteurs et le grand public », explique Matthew Erickson, économiste pour la American Farm Bureau Federation. « Les agriculteurs utilisent des technologies de précision pour être plus performant sur tous les plans. Alors qu’ils perdent des hectares chaque année, ils cherchent à maximiser le potentiel de chacune de leur parcelle. »

Un cinquième des terres des États-Unis est utilisé pour la production agricole en grande culture. Mais, selon l’EPA (NdT, équivalent du ministère de l’environnement), environ 1200 hectares de terres agricoles sont perdus chaque jour aux États-Unis. Selon le recensement américain, les terres cultivées utilisées pour les cultures a chuté de 138 à 135 millions entre 1990 et 2010. Mais la quantité de grains récoltés est restée la même.

Au cours d’un déjeuner dans un restaurant du coin, Chris, Robert et George Bercaw, leur ami de longue date et vendeur d’assurance-récolte, discutent de leurs préoccupations à propos des données et de la productivité. « Ce qui me préoccupe, c’est de faire pour le bon choix au niveau de mes pratiques de production, et le GPS me permet de tout suivre », indique Chris. « Vais-je recevoir un appel téléphonique de l’EPA me demandant « saviez-vous que vous pulvérisez trop près de cet étang ? » ou m’indiquant « vous avez mis trop d’engrais et ne respectez plus la réglementation » ?.

« S’il y a trop de vent lors d’un traitement, si une erreur est commise ou si l’ordinateur a mal calculé, on peut être condamné à une amende. Il y a l’empreinte des données partout où vous allez  » ajoute-t-il.

Cette empreinte est une « arme à double tranchant » pour les agriculteurs. Soit les agriculteurs sont asservis par un système à la « Big Brother », soit ils sont renforcés par la connaissance très fine de leurs parcelles grâce aux données collectées. Si les écologistes radicaux venaient les accuser d’utiliser trop de pesticides ou le mauvais type de semences, ils peuvent tout simplement sortir un smartphone et leur fournir la preuve du contraire.

« Parfois, ce travail d’acquisition de données est plus compliqué, mais cela permet de faire évoluer le métier » indique Jake Rowland, un technicien d’agriculture de précision pour Helena Chemical, entreprise fournissant des intrants agricoles, qui pratique des analyses de sol pour la ferme de Jones. « Il vous permet de rester honnête. »

Cette moisson de données peut également être utile pour les consommateurs. Alors que l’agriculture industrielle a été montrée du doigt avec ses émissions de carbone, le non-respect du bien-être animal et les produits non étiquetés OGM, les exploitations agricoles aussi bien petites que grandes ont davantage d’informations pour le public pour faire la preuve des progrès réalisés ces dernières années.

« A ce stade, cela peut restaurer la confiance avec le grand public en produisant plus de transparence », confie Villwock. « C’est une histoire qui vaut la peine d’être racontée et qui pourra être étayée grâce aux données collectées. »

Le mouvement Farm-to-Fork (NdT, de la ferme à la fourchette, militant pour une agriculture de proximité à taille humaine) a gagné du terrain, notamment avec des films documentaires comme « La santé dans l’assiette » (Forks Over Knives) et « Les alimenteurs » (Food Inc.). La distanciation des mangeurs et du contenu de leurs assiettes est devenue une source de défiance vis-à-vis de l’agriculture industrielle et l’industrie agroalimentaire : la qualité de l’alimentation devient une préoccupation majeure pour de plus en plus de monde. L’ensemble de ces données a la capacité de combler cette distanciation voire de restaurer la confiance. Il est possible d’imaginer dans un futur proche que soit affiché dans les restaurants sur une tablette, le nom de la ferme qui le fournit, son historique, le cycle de vie des légumes qu’elle a produits et de choisir notre menu, en fonction du jeu de données qui nous inspirera le plus confiance. Cela peut nous donner la possibilité de connaître notre nourriture, et par conséquent, on peut espérer que le processus de production agricole sera respecté et reconnu comme jamais il ne l’a été auparavant.

Mettre en perspective les données

Chris Jones a 29 ans et père de deux enfants. Il sourit souvent lorsqu’il travaille, caractéristique de son attitude décontractée. Il est diplômé de l’Université Purdue et Chris est l’un des rares de sa promo qui est revenu travailler sur la ferme familiale. Il monte dans la cabine de sa moissonneuse-batteuse, remplie de fils, de chargeurs et d’un routeur. L’écran de contrôle du boîtier Precision Planting clignote : Chris parcourt les données de la parcelle et fait défiler les cartes des sols pour voir leur potentiel. Le service Climat Basic est gratuit pour n’importe quel utilisateur, mais Climate Pro coûte maintenant 15 $ par acre (soit 28 € par hectare). L’entreprise prétend que les agriculteurs peuvent augmenter leurs bénéfices moyen de 100 $ par acre (180 € par hectare). La famille Jones utilise le service de Climate Corporation pour l’assurance contre les aléas climatiques pendant quatre ans, avant de Monsanto rachète cette entreprise.

Chris rit, à moitié en plaisantant, et regarde Bercaw. « Encore Monsanto, nous ne pouvons pas en sortir! » dit-il.


Chris Jones regarde l’écran du boîtier Ag Leader, capteur qui montre le rendement de son champ de maïs. Image: Lyndsey Gilpin/TechRepublic  

Quand nous retournons au bureau, Chris et Bercaw vont tout droit sur l’ordinateur pour montrer comment le site de Climate Corporation fonctionne. Bercaw est un ami de la famille depuis longtemps et il a été consultant en assurance-récolte pour Climate Corporation bien avant son rachat. Il arbore fièrement le logo de l’entreprise, imprimé sur le devant de sa veste.

Chris se connecte et en quelques secondes, nous sommes sur le site, faisant défiler une liste d’opérations réalisées dans la parcelle de Jones. Une carte Google Maps occupe la quasi totalité de l’écran. Une mise à jour météo clignote dans un coin. Il entre quelques chiffres, vérifiant comment tel type de semences peut affecter le rendement à l’hectare, donc qui peut affecter le prix de la récolte. The Climate Corporation fait les calculs à partir d’algorithmes. En cliquant sur un lien, on voit les tendances historiques de l’humidité et de la productivité du sol, et Chris a la possibilité de l’avoir sur 30 ans. C’est un site avec une interface intuitive, « indéniablement plus simple à utiliser que la plupart des autres systèmes », dit Chris. Et c’est important pour le public cible : la population des agriculteurs est vieillissante et ils ne savent pas toujours comment naviguer sur le web .

Contrairement à une époque révolue, quand Chris devait rester assis au téléphone pendant des heures, attendant d’être mis en relation avec un technicien pour tenter de résoudre son problème sur son système John Deere, The Climate Corporation envoie automatiquement des mises à jour presque chaque semaine. Si Chris a besoin d’avoir quelqu’un au bout du fil, il l’a en un appel téléphonique ou deux. Et les cadres de The Climate Corporation lui demandent son avis quand de nouveaux projets sont déployés sur le site internet.

Ce n’est pas le travail à la ferme que Chris avait d’abord imaginé. C’est un métier très connecté aux nouvelles technologies et un métier dont l’attrait ne fera que croître.

« Cela permet de rendre le métier plus attractif et de donner envie aux jeunes de s’installer, alors que ce ne l’était plus jusqu’à présent», dit Bercaw . « C’est un travail de haute technologie.  »

Promouvoir les données ouvertes

Plus tôt cette année, Aaron Ault du groupe des technologies ouvertes en agriculture de l’université Purdue a dirigé une initiative visant à apporter des auditeurs tiers dans le processus de collecte de données. L’Alliance Open Ag Data était né, et le projet a été conçu pour introduire la notion de vie privée et de sécurité dans les données agricoles.


Des représentants d’Helena Chemical effectuent des analyses de sol pour la ferme Jones. Image: Lyndsey Gilpin/TechRepublic

« L’agriculteur va devoir avoir un contrôle complet du système de qui regarde quelle donnée et quand », explique Ault. « A ce jour, la plupart des agriculteurs ne connaissent pas les termes et les conditions d’utilisation des services, nous sommes donc en train de développer une méthode pour les agriculteurs pour qu’ils sachent exactement ce à quoi ils s’engagent. »

Ault est un agriculteur à temps plein dans l’Indiana, mais travaille également sur divers projets de recherche à l’Université Purdue. Il considère l’agriculture comme la plate-forme originale de l’open source. Les agriculteurs ont en été les inventeurs, les pionniers. Ils ont partagé leurs connaissances et leurs produits avec leurs voisins. Mais en fin de compte, l’agrégation de données et le partage dans l’agriculture est devenu incroyablement difficile.

« L’une des principales raisons est que rien n’est compatible ni interopérable aujourd’hui », indique-t-il. « Tel matériel d’une entreprise ne fonctionne pas avec d’autres matériels d’une autre entreprise. Tel autre service traite les données d’une certaine manière par rapport à un autre service. »

Un exemple flagrant est le système de John Deere, APEX, qui est incompatible avec la plupart des autres marques et systèmes. Et après une investigation poussée, Hackney (dont l’entreprise est l’un des principaux sponsors du groupe des technologies ouvertes en agriculture de l’université Purdue) s’est aperçu que l’entreprise stipulait en petits caractères dans leur accord de confidentialité que les données leur appartenaient.

Alors que la prise de conscience commence à faire son chemin, Smirin indique, à propos des anciens systèmes que la plupart des agriculteurs utilisent, que les entreprises sur lesquelles ils s’appuient ne leur donnent pas la pleine et entière propriété de leurs propres données,

D’autres plateforme de services dans le cloud out vu le jour pour ensuite disparaître, mais celle de The Climate Corporation s’est avéré être la plus fiable. Et quelques mois juste après que Monsanto ait acquis cette startup, l’entreprise a insisté sur leur engagement à l’Alliance Open Ag Data et sur leur participation active lors de la formation de cette alliance.

« Nous mettons l’accent sur le fait que les agriculteurs possèdent les données qu’ils créent, nous nous engageons à fournir des services de base de données pour les agriculteurs gratuitement, et nous nous engageons à permettre aux agriculteurs de partager leurs données sur d’autres plates-formes sans frais», précise Begemann.

Les participants de l’Alliance Open Ag Data sont :

– Le groupe des technologies ouvertes en agriculture de l’Université Purdue
– AgReliant Genetics, une entreprise de semences
– CNH Industrial, qui vend du matériel agricole
– GROWMARK , une coopérative agricole
– Valley Irrigation, qui fabrique des technologies d’irrigation de précision
– Wilbur-Ellis Company , qui distribue des produits de pilotage des cultures
– Winfield , un fournisseur de semences
– The Climate Corporation

« The Climate Corporation a un intérêt personnel dans cette alliance… nous voulons que les agriculteurs se servent de nous pour leur fournir le meilleur service, mais s’ils veulent juste stocker leurs données sur un service de base de données, nous nous sommes engagés à ce que les données soient totalement inexploitables pour nous », explique Smirin. « Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas ce qui est le plus pratiqué aujourd’hui dans le milieu. »

Ault indique que l’alliance restera indépendante des entreprises partenaires, bien que Monsanto ait joué un rôle important dans la promotion.

« Cela peut sembler naïf au premier abord, mais une partie de l’approche OADA est de définir un langage commun de ce que l’OADA veut dire », explique Ault.

La nouvelle se répand rapidement dans cette industrie. Si la confiance est rompue, la communauté va le savoir tout aussi rapidement.

« Nous allons devoir résoudre ce problème, gagner leur confiance, sécuriser le système», explique Ault. « Cela ne peut pas simplement être des paroles en l’air, cette agriculture des données doit être évalué par des tiers, et ne pas se résumer à une simple question d’accessibilité des données. »

L’avenir de l’agriculture

Robert regarde fixement la table, l’air soucieux. Il craint non pas ce qu’implique ses données sur sa vie privée, mais plutôt l’avenir de l’agriculture. Il a le sentiment que le monde ne saisit pas combien cela est important ou combien le poids qui repose sur ses épaules d’agriculteur de nourrir le monde, est grand. Les agriculteurs n’ont pas partagé ce fardeau jusqu’à présent.

Robert Jones indique qu’il veut être proactif par rapport à l’enjeu des données agricoles. Avoir un temps d’avance en tant qu’agriculteur à latête d’une grande exploitation est important. Image: Lyndsey Gilpin/TechRepublic

Une autre source d’inquiétudes est le changement climatique. Bien que Robert et Chris ont autrefois nié l’évidence, ils admettent être aujourd’hui très préoccupés par les conséquences du dérèglement climatique sur leurs cultures. Davantage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et un climat plus chaud nuira à leur rendement. Cela signifie davantage de mauvaises herbes, qui ont déjà coûté aux agriculteurs 11 milliards de dollars l’année, selon l’EPA. Cela annonce aussi davantage de sécheresses et d’inondations qui impacteront sévèrement le rendement des cultures.

Robert, sa famille, et de nombreux autres agriculteurs ont toujours eu à rester sur la défensive, confie-t-il. Ils se sont petit à petit coupés du reste de la société car leur métier était souvent méconnu, mal représenté et franchement méprisé.

«Nous nous sommes repliés sur nous-mêmes et n’avons permis à personne de nous aider à nous protéger », ajoute-t-il.

Mais ces données permettent de souligner l’importance du secteur agricole. Si les gens étaient plus connectés à leur alimentation par l’intermédiaire de données ouvertes, ils seraient davantage connectés à la ferme d’où cette nourriture vient, et donc, plus respectueux des personnes qui travaillent sans relâche pour la produire.

« L’agriculture a finalement gagné le respect du monde entier » explique Robert pendant le repas.

Ce respect est dû en partie à l’ébullition à San Francisco, où The Climate Corporation a un bureau et où d’autres startups sont en train d’émerger. Par exemple, Granular est une petite startup sur les données, située à trois pâtés de maisons de The Climate Corporation. Granular est né d’une scission de Solum, Inc. lorsque The Climate Corparation a racheté cette société plus tôt cette année.

« Une nouvelle catégorie d’agriculteurs est en train d’émerger. Ils veulent utiliser le meilleur de la science et de la technologie, c’est pour cette raison que nous essayons de fournir à cette nouvelle catégorie d’agriculteurs, des services logiciels modernes, comme il en existe dans d’autres secteurs d’activité», déclare Sid Gorham, PDG de Granular

Toutes les multinationales agricoles ont mis de l’argent dans cette industrie naissante. Dupont Pioneer utilise les technologies de l’agriculture de précision depuis un certain temps, mais a récemment intensifié ses services dans ce nouveau domaine. Case IH , Ag Leader, et John Deere sont les premiers à adopter l’agriculture de précision et l’analyse prédictive, et maintenant, tous ces systèmes sont intégrés dans les services du cloud de The Climate Corporation.

« Cela a des avantages énormes et peut potentiellement révolutionner l’agriculture », indique Erickson. « Cela rend les choses plus transparentes entre l’agriculteur et les sociétés de services. Cette approche pourrait être fructueuse pour toute l’agriculture. »

Même les petites exploitations doivent avoir un minimum de connaissance sur ces technologies si elles veulent faire partie de la prochaine ère agricole.

« Mes petits-enfants sauront saisir les opportunités de tout ceci sans aucun problème », se rejouit Robert.

Je regarde l’ordinateur dans la grange. Le fond d’écran est un bambin flanqué d’une salopette, assis dans un tracteur. Ses mains sont parfaitement positionnées sur le volant et il fait un large sourire. Son père et son grand-père resplendissent sur la photo.

Un peu plus tard, l’écran attire de nouveau mon attention. Cette fois, la photo du jeune fils de Jones est à moitié recouvert par la fenêtre d’un logiciel de The Climate Corporation, notifiant en clignotant la synchronisation des données.

1 Big data est une expression anglophone utilisée pour désigner des ensembles de données qui deviennent tellement volumineux qu’ils en deviennent difficiles à travailler avec des outils classiques de gestion de base de données ou de gestion de l’information. En français, « grosses données » ou « datamase ». Source Wikipedia

2The Climate Corporation : société de géomatique racheté par Monsanto en octobre 2013. http://www.climate.com/

Hélène Mathon : « On a désappris à penser aux agriculteurs »

Hélène Mathon, auteure et metteure en scène est intervenue dans le cadre des Premières Rencontres du Forum des Agricultures, graines d’avenir. Elle nous parle de son travail d’écriture sur sa pièce Cent Ans dans les champs ! (Une petite histoire de l’agriculture de 1945 à 2045) et de sa relation entre art, agriculture et monde rural.

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Intervention d’Hélène Mathon le 7 septembre 2013 à la Ferme de Vauluceau dans le cadre des Premières Rencontres du Forum des Agricultures


Pourquoi avoir choisi le sujet de l’agriculture dans votre travail d’artiste ?

Mes grands-parents étaient agriculteurs dans le Gers et depuis 2001*, je travaille sur le sujet agricole. Mon travail  s’attache à «  donner à entendre des choses peu audibles », il me semble que l’histoire est toujours racontée par d’autres  que ceux qui la vivent ou par ceux qui parlent le plus fort. Pour écrire la pièce, nous avons interviewé des agriculteurs du Nord, en coproduction avec  le Centre dramatique national de Béthune. Avant la première représentation, j’appréhendais  un peu la confrontation. Les acteurs de la pièce n’avaient jamais rencontré les agriculteurs avant cette première et même si, pour nous, c’est un travail habituel, il reste singulier dans son rapport direct avec la réalité. A l’issue de la représentation, il y a eu beaucoup d’émotions car les agricultrices et agriculteurs étaient fiers de voir leur histoire au travers d’un média qu’ils méconnaissent : le théâtre contemporain. Ils pensaient que leurs histoires ne valaient pas la peine d’être racontées. Pourtant c’est l’essence de notre métier : représenter la vie des autres.

Comment a réagi le public après avoir vu « Cent ans dans les champs ! » ?

Les retours du public ont été très bons. Les gens ont une connaissance diverse du sujet mais on peut dire que tout le monde à un rapport à l’alimentation et à l’agriculture. Même si nous vivons de plus en plus en ville, ce rapport est encore vivant. Mais si-parmi la génération des quadragénaires- 4/5 étaient susceptibles d’aller en vacances  à la ferme chez les grands-parents, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Beaucoup de fermes ont disparu, les vacances sont consacrées au loisir et plus du tout au contact avec les animaux, avec la terre. De ce fait, de plus en plus de gens trouvent ce travail « exotique ». Il faut ré-expliquer le rôle de l’agriculteur et de l’agriculture.

Vous abordez la question de la déstructuration de notre alimentation de manière assez violente dans la pièce…

Quand je regarde ce que nous avons aujourd’hui dans notre assiette, je réalise à quel point nous sommes allés loin. Il est urgent de faire changer les choses. Comment peut-on faire pour concerner les gens ? Dans la pièce, quatre visions sont restituées, quatre possibilités de penser notre rapport à l’agriculture. Mais je n’ai pas souhaité faire ressortir un type d’agriculture plus qu’un autre. Je propose quatre scénarios et chaque spectateur, en fonction de son vécu, entre en empathie avec l’une ou l’autre. Je cherche à restituer la perception de la réalité plutôt que de fournir une vision manichéenne des agricultures.

Le passage sur la vidéo représentant un agriculteur philosophant sur le mot « paysan » est surprenant et singulier…
L’agriculture manque aujourd’hui de vocabulaire, de mots. L’agriculteur a souvent une parole toute faite, qui préexiste à la rencontre. C’est parfois un discours  très politique, comme la  version officielle en quelque sorte. Dans l’écriture de la pièce, je me suis intéressée à la parole singulière que porte l’individu en son nom propre. D’une certaine façon, on a désappris à penser aux agriculteurs. A mon sens, il n’existe plus d’endroit de réflexion où ils peuvent s’exercer à  penser par eux-mêmes, ils se trouvent dans une solitude et un désarroi profond. Ils vivent une situation très compliquée économiquement et socialement.

Comment envisagez-vous l’agriculture dans le futur ?

Cette question de l’agriculture en 2050 est une question très complexe qui renvoie à une décision collective parce qu’on ne pourra pas faire les choses à moitié. Les agriculteurs que j’ai rencontrés m’ont beaucoup parlé de chiffres, de papiers. Ce qui m’intéresse, c’est le rapport de l’homme à la terre et peu m’en ont parlé car ils n’ont plus le temps. C’est vertigineux. Mais il est essentiel et fondamental de répondre à cette question primordiale : que voulons-nous faire de notre terre ? .

Quelle est la place de la culture dans le monde rural ?

Au niveau des structures culturelles en milieu rural, c’est la déshérence totale et il n’y a pas  vraiment de volonté politique pour que cela change. Le monde rural n’a droit aujourd’hui qu’à une culture au rabais et cela vient de la pensée centraliste du politique. J’ai aujourd’hui beaucoup de demandes de groupement d’agriculteurs pour jouer la pièce mais les salles de spectacle sont la plupart du temps inadaptées. Si les agriculteurs ne peuvent plus penser par eux-mêmes c’est aussi parce que les lieux de culture peinent à exister là où ils sont, dans les zones rurales. Il est urgent de repenser la place de la culture dans le monde rural, parce qu’il est urgent de redonner à l’art son utilité sociale.

Propos recueillis par Julien Couaillier en mars 2013

* 2001. « Les restent ?», d’après le journal de Josiane Duprat., gouvernante dans un domaine agricole du Gers.

2010. « Les Coteaux du Gers », documentaire sur la question du travail  auprès des retraités agricoles et « Odette », au théâtre de la Digue à Toulouse.

 

 

Lettre d’information N°1 – Avril-Mai 2013

Edito

Comme en témoigne l’actualité, l’agriculture et l’alimentation restent les enjeux majeurs nos sociétés actuelles et à venir, sur toute la planète, sur tous les territoires en termes d’environnement, de santé publique et de modes de vie, d’identité.

Pour sa deuxième année d’existence, le Forum des Agricultures, graines d’avenir travaille à la formulation d’un projet cohérent, novateur, viable économiquement et multi-activités qui permette de penser de façon ouverte les défis alimentaires et agricoles et d’accompagner en complémentarité avec d’autres structures déjà existantes, ses dynamiques les plus innovantes.

Le lancement d’une communauté physique et virtuelle autour du Forum nous apparaît comme une première étape indispensable pour soutenir nos efforts : c’est pourquoi nous avons lancé le site internet www.forum-des-agricultures.fr et le compte twitter associé @forumagri. Nous allons également lancer des ateliers de créativité d’ici le mois de juin pour poursuivre le design du Forum.

Guillaume Dhérissard, président du Forum des Agricultures, graines d’avenir

 

Appel à cotisation 2013

Merci à celles et ceux qui ont renouvelé leur adhésion au Forum des Agricultures pour 2013. Vous trouverez sur le lien suivant la version PDF de l’appel à cotisation 2013.

 

Une identité graphique et un site internet

Le Forum des Agricultures se dote d’un logo et d’un site Internet propulsé sous WordPress.
Le logo, avec ses deux bulles, exprime le dialogue entre les différentes cultures et les différentes agricultures. Ces échanges fertiles permettent de faire germer des idées qui sont évoquées par la graine centrale du logo.
Le site internet utilise le logiciel WordPress qui permet ainsi une mise en ligne de l’information simplement et de manière collaborative. N’hésitez pas à demander un compte si vous voulez contribuer.

 

Ateliers de réflexion et de créativité en préparation

Des ateliers de créativité vont être organisés d’ici juin 2013 pour définir de manière collective et collaborative le périmètre du Forum des Agricultures. Qu’est-ce qu’un forum ? Comment se matérialise-t-il ? Quelles sont ses activités ?… sont autant de questions qui essaieront de trouver leurs réponses pendant ces ateliers. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des dates auxquelles se dérouleront ces ateliers.

La raison d’être du Forum des Agricultures

Agriculture et alimentation sont les enjeux majeurs des sociétés de demain sur toute la planète, sur tous les territoires en termes d’environnement, de santé publique et de modes de vie, d’identité.

Nourrir durablement la planète est donc un enjeu primordial de toutes les sociétés – enjeu rappelé par l’ONU. Cela suppose des solutions diversifiées, en fonction des hommes, des terrains, de l’évolution climatique, des circuits de distribution et de transformations alimentaires.
Nourrir durablement la planète nous concerne toutes et tous. C’est un enjeu vital dans tous les sens du terme, car il concerne aussi nos habitudes, nos traditions très diverses, notre vie quotidienne et nombre de savoir-faire locaux. Et ce sont bien ces échanges locaux-globaux qu’il faut instaurer partout, pour expérimenter, innover, échanger, former.

Toutefois, alors qu’elles n’ont jamais été autant stratégiques, l’agriculture et l’alimentation sont de plus en plus accusées, source de divisions multiples ou trop souvent mal comprises. Est-ce vraiment durable ?

Il est alors urgent de sortir des querelles de chapelles entre bio et non bio, entre cultures des pays riches et des pays dits pauvres, entre tissu vivrier et produits d’exportation, entre artisanat culinaire et industries agroalimentaires.

Voilà pourquoi s’est créé le FORUM DES AGRICULTURES, GRAINES D’AVENIR pour créer ces rencontres et formuler un projet cohérent, novateur, viable économiquement et multi-activités qui permette de penser de façon ouverte les défis alimentaires et agricoles et d’accompagner en complémentarité avec d’autres structures déjà existantes, ses dynamiques les plus innovantes.

Grignon, site symbolique sur l’innovation en agronomie, pourrait accueillir ce large forum et devenir à terme une « cité de toutes les agricultures», un espace polyvalent à la fois vitrine d’une agriculture au service de tous les hommes et un lieu d’échanges, de ressources, de développement et d’innovation. Une ruche d’activités ancrée dans son territoire et sa région, tout en restant ouverte à l’Europe et au Monde.